25 janvier 2015

Motor Vessel Africa

   La mémoire marine de l'humanité s'inscrit à la surface des océans par des textes d'écume creusés par les bateaux. Jonques, boutres, radeaux, paquebots, toutes formes d'embarcations, archaïques ou sophistiquées, gravent dans le corail les mouvements perpétuels de l'homme sur les flots. Chaque étendue d'eau, chaque lac, chaque rivière, chaque bassin versant porte en lui cette conquête de la planète bleue par les humains, de la première noyade à la dernière marée noire. Poussé par les forces laminaires de l'atmosphère, le bateau est un pionnier, qu'il soit barque de pêcheur ou pirogue de migrants. À la fois tragique et merveilleux, il est le moyen de transport le plus apte à donner la saveur aigre-douce du voyage, à en révéler l'essence universelle.




   Sous les latitudes tempérées, avec la démocratisation du voyage aérien, le bateau en tant que moyen de transport passager a été supplanté par l'avion. On ne traverse plus l'atlantique par la mer mais par les airs. La transatlantique en bateau est aujourd’hui un loisir ; sur des trimarans ou de grands bateaux de croisière le but n'est plus d'atteindre le nouveau monde mais bien le voyage en lui même. De même pour une frange de la population asiatique qui peut maintenant avec un grand nombre de compagnies low-cost se payer des voyages aériens. Le temps de Vasco de Gama ou de la flotte de Zheng He qui explorait les côtes africaines et ramenait des girafes du Kenya dans sa chine natale est révolu. Aujourd'hui les mers sont surtout traversées par des porte-conteneurs.

   Le bateau de passager n'est cependant pas mort. En Afrique il est un moyen de locomotion très courant. Les ponts sont rares et ce sont les bacs en général qui permettent la traversé des grands cours d'eau. Dans beaucoup de régions fluviales ou lacustres, certains villages ne sont accessibles qu'en pirogue. Les ferrys qui circulent dans la région des grands lacs transportent beaucoup de passagers et de marchandises là où les transports routiers peuvent être longs, difficiles et dangereux. C'est de ces fameux ferrys que ce blog tire son nom, le préfixe MV signifie motor vessel (navire à moteur). C'est un préfixe de navire civil, on le retrouve très souvent sur les bateaux africains des pays anglophones comme le MV Songea qui navigue sur le lac Malawi.




   Malheureusement le continent est aussi le théâtre d’innombrables catastrophes maritimes. Il ne se passe rarement un mois sans qu'un média ne relève (timidement) un naufrage sur un lac, un fleuve ou sur la mer. Parmi ces désastres, on peut relever celui du MV Bukoba en 1996 qui circulait sur le lac Victoria et qui entraîna dans sa chute le numéro 2 d’Al-Qaïda de l'époque Abu Ubaidah al-Banshiri. Le MV Bukoba faisait la liaison entre la ville de Bukoba et la ville de Mwanza en Tanzanie. Le trajet est aujourd'hui effectué par le MV Victoria.


 
   Des incidents tragiques d'une autre ampleur et beaucoup plus relayés par les médias coûtent la vie à de pauvres migrants qui tentent de rallier l'Europe et qui arrivent à moitié mourants s'ils n'ont pas déjà succombé en Méditerranée au large de l'Espagne ou de Lampedusa. On retrouve la gravité de ces expéditions avec une grande pertinence dans le film de Moussa Touré « La pirogue ».




   Une des tragédies la plus spectaculaire, responsable d'un plus grand nombre de victimes que le naufrage du Titanic, reste aujourd'hui une véritable cicatrice dans le cœur des sénégalais. En septembre 2002, le traversier Le Joola se retourne dans une tempête au large de la Gambie. Les secours mettent environ 19 heures à arriver. Le bilan officiel est de 1863 morts. Le bateau qui assurait la liaison entre Ziguinchor et Dakar portait à son bord de nombreux casamançais et le nom Joola (diola) vient d'ailleurs de l’ethnie éponyme majoritaire dans cette région.






   Mais les bateaux africains ne sont pas seulement célèbres pour leur faculté à sombrer, il sont aussi légendaires pour leur capacité à prolonger leur durée de vie. À ce titre, le MV Liemba est en train de devenir une véritable légende. Ce ferry qui circule depuis plus d'un siècle sur le lac Tanganyika, est un navire de guerre initialement appelé Graf von Götzen amené en 1913 par les colons allemands. Pendant la première guerre mondiale, il fut sabordé par les allemands eux-même afin que les anglais ne s'en emparent. Ces derniers le renflouèrent en 1924 et lui donnèrent son nom actuel. Aujourd'hui propriété de la Tanzania Railways Corporation, il assure toujours le transport de passagers sur un parcours qui dessert Tanzanie et Zambie et irrégulièrement le Burundi et la république démocratique du Congo.



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