La
pensée fugace de l'Homme qui devant un paysage singulier envisage
qu'il a atteint le bout de la terre s'exprime peut-être en Namibie
plus que n'importe où ailleurs. Un voyageur qui traverse l'Afrique d'Est en Ouest, depuis Zanzibar jusqu'à la côte Sud
namibienne voit la terre perdre en consistance et en agitation
pour se transformer en confins de l'humanité alors que
s’installe un climat dont les originalités sont semblables
à ce que l'imagination assimilerait aisément aux extrémités du
monde.
Les
plantes de Namibie sont étonnantes, les dunes y sont spectaculaires
et oranges, la côte est brumeuse, et de grands troupeaux d'autruches
se promènent sur des terrains hostiles où quelques touffes d'herbe
dorées semblables à des éclaboussures figées se découpent sur un
sol sombre et contribuent à simuler l'arrêt du temps et de
l'espace.
Outre
les autruches, des hyènes brunes tracent de fragiles sillons dans la
steppe ainsi que toutes sortes d’espèces singulières,
acclimatées, dont la lutte a permis de s'adapter à l’aridité du
pays. Ce combat pour l'acclimatation a même favorisé le
développement d'une petite population de chevaux qui vivent à
l'état sauvage, issus très probablement d'élevages allemands et
sud-africains du début du XXe siècle, des individus
robustes et athlétiques. En comparaison, les chevaux domestiques de
Namibie sont plutôt petits et assez poilus.
La
sécheresse et la quasi-permanence du brouillard sur la côte
namibienne sont liées au phénomène d'upwelling qui touche
l'océan. Le mouvement circulaire du vent qui balaie les côtes dévie
l'eau de surface vers le large ce qui provoque une remontée des eaux
froides depuis les profondeurs. La fraîcheur de l'eau fait ainsi
baisser la température de l'air qui arrive de l'océan. Ce dernier
se réchauffe rapidement en pénétrant sur le continent et il
condense alors en surface et crée de la brume. Néanmoins l'air
froid ne permettant pas d’ascendance, la création de nuage en
altitude est compromise et les pluies sont presque inexistantes. Si
la faune marine de l'océan, que la température de l'eau favorise,
s'en trouve sur-développée, l'aridité côtière et la sécheresse
sont le sort du littoral jusque loin dans les terres et les
conditions de vie dans le désert du Namib condamnent pour sa survie
la faune terrestre à l'errance.
L'atmosphère
de néant que diffuse cette fatalité est renforcée par l'absence de
populations humaines. Les villes sont éparses, la circulation
quasiment inexistante. Est-ce la fin ? Tout le monde est parti ou
s'est éteint, est venu s'échouer et ajouter sa carcasse osseuse aux
vastes plages de la Skeleton coast.
L'ensemble des choses est figé, l'humanité s'est effacée du décor,
la forêt de Damaraland s'est pétrifiée et la terre s'est ouverte
et se craquelle encore en canyons géants. L'accumulation à outrance
du sable et du sel a produit d'énormes tas oranges d'où émergent
quelques arbres d'apparence calcinée.
Le pays compte moins de 2,5
millions d'habitants sur environ 824 000 km², soit 3 habitants par
kilomètre carré. Si l'on compare, en France on compte environ 99 habitants par km². L'absence de populations sur une si grande surface éveille les soupçons à chaque rencontre. Mais y a-t-il d'ailleurs
une menace spécifique ? Certains voyageurs solitaires
prétendent chasser des sorcières. Qui sont les sorcières en
Namibie ? S'agit-il de vieux démons ? Toutes sortes de
bruits courent.
Comme
l'eau froide des profondeurs océaniques vient remplir le vide causé
en surface par le vent, les légendes viennent combler dans les
échanges l'absence de réalité tangible.
Dans
le port de Lüderitz,
on est très loin de l'habituelle effervescence autour de l’activité
portuaire. Ça et là émerge un rail, mangé par le sable et
l’inéluctable. Il ne faut pas s'endormir au-delà de minuit sinon
le bruit des fantômes de Kolmanskop
vous empêche de dormir toute la nuit. À Kolmanskop,
les Allemands creusaient la terre pour extraire des diamants mais ils
ont quitté le lieu quand le filon s'est tari et c'est aujourd'hui
un village déserté qui abrite encore les vestiges d'un opéra. Des
maisons bancales émergent encore difficilement du sable et de l'aube
du XXe siècle.
Il
y a toujours du diamant en Namibie et il constitue d'ailleurs une
large part du PIB du pays. Cela favorise un certain inconfort. À
droite, à gauche, des panneaux dissuadent de s'introduire dans le
désert :
Il
ne faut pas s'y risquer; la légende (ou la réalité?) veut que des
soldats armés circulent et surveillent les mouvements. Ils tirent si
quelqu'un se promène. Alors on vous met en garde, « n'allez
pas trop derrière les dunes », même hors des zones
diamantifères, il se pourrait que des gens en armes vous dévalisent.
Mais le pays n'est pas seulement doté en diamant, il est également
pourvoyeur de cuivre, d'argent et il est riche en uranium, à
l'instar d'autres pays du continent tels que le Niger, l'Afrique du
sud, la Centrafrique et la République Démocratique du Congo. Ce
dernier, alors qu'il était encore Congo belge, fournît le précieux
minéral nécessaire à la fabrication des bombes atomiques Little
boy et Fat man qui dévastèrent Hiroshima et Nagazaki.
L'uranium
joue un rôle important dans l'histoire de la Namibie. L'Union
sud-africaine, dominion britannique - qui deviendra la
république d'Afrique du Sud - conquiert le Sud Ouest Africain
Allemand - qui deviendra Namibie - pendant la première guerre
mondiale. Confié au dominion
par la SDN, le pays est alors occupé par l'Afrique du Sud qui
instaure l'apartheid, et exploite les ressources minières jusqu'en
1990, année de l'indépendance de la Namibie. L'historien Apoli
Bertrand Kameni souligne que l'indulgence des pays occidentaux
vis-à-vis de cette occupation, pourtant jugée illégale par la cours
internationale de justice de la Haye à partir de 1971, vient du fait
que la légalité de l’extraction minière telle qu'elle était
pratiquée pouvait s'en trouver compromise. La mine de Rössing,
idéalement située car dotée d'infrastructures de transport et
proche de la côte, représentait 10 à 15% des réserves mondiales
d'uranium, et donc une source d'approvisionnement inestimable pour
les industriels occidentaux. L'historien précise qu'avec l'arrivée
sur les marchés d'uranium australien et canadien, l'incident de
Tchernobyl, et le déclin de la guerre froide, durant la décennie
1980/1990, l'uranium namibien perdit de sa valeur ce qui favorisa
l'indépendance, pourtant souvent associée au caractère idéologique
de la guerre froide (les conditions du retrait de l'Afrique du Sud de
Namibie comprenaient le départ de troupes cubaines et de leurs
conseillers soviétiques d'Angola).
En
regardant le pays dans son ensemble avec attention, on distingue
lentement la vie qui se déplace tranquillement, les mouvements qui
se révèlent et ce que l'on croyait éteint s'agite discrètement.
La vie humaine émerge par îlots, une population clairsemée et rare
mais variée. La majorité est bantoue, mais il y a une importante
minorité blanche et des Khoïsans qui utilisent ce que l'on appelle
des langues à « clics ». Les conversations évoquent alors des mélodies étonnantes où se mêlent à des sonorités communes, des bruits semblables à des sifflements de grenouilles ou des percutions de gouttes de pluie sur des objets creux. Les Namas (Khoïsans) et les Héréros
(Bantous) ont été, selon certains historiens, les victimes du
premier génocide du XXe siècle. Le sort que leur ont
fait subir les colons allemands est décrit dans des témoignages
remplis de détails atroces.
Mais
la population sans doute la plus iconique du pays est probablement
celle de la tribu des Himbas du nord du pays. Superbes et élégantes
dans leurs tenues de cuir, les femmes se recouvrent de terre rouge
et, seins nus elles sont très attirantes et viennent
enrichir les émotions tropicales d'enchantement fiévreux. Elles
contribuent ainsi au développement du tourisme.
En
Afrique australe, d'autres événements sont l'occasion de dévoiler
une partie de la nudité féminine. Tout les ans au Swaziland, des
foules de jeunes filles viennent faire rebondir leur poitrine devant
le monarque de la dernière monarchie absolue du monde. C'est
actuellement pour le roi Mswati III qu'environ 60 000 jeunes filles
vierges seins nus dansent pour prouver leur loyauté (elles seraient
de plus en plus nombreuses chaque année, mais ce chiffre de 2012 est
issu des autorités qui ont tendance à le gonfler). Le roi en
profite parfois pour choisir une nouvelle épouse parmi elles (il en
a 13 à ce jour). Cette cérémonie, la danse des roseaux ou Umhlanga
était au départ sensée louer la reine mère plus que le souverain
lui-même.
Chez
les Zoulous d'Afrique du Sud, une cérémonie à peu près similaire
se tient tout les ans en septembre (uMkhosi woMhlanga).
Les
filles doivent être vierges, ce qui est d'ailleurs vérifié de
manière curieuse pendant la cérémonie. La préservation de cette
chasteté serait par ailleurs susceptible de leur épargner une
exposition précoce au Sida (le taux de prévalence au Swaziland est
estimé par l'ONU à 28%).
Les
Héréros seraient arrivés dans cette partie du globe en même
temps que les Himbas il y a environ 4 à 5 siècles. Les femmes
Héréros n'ont cependant pas les seins nus car les Allemandes qui
débarquèrent avec leurs maris colons avaient peur de la tentation
et leur ont vite appris à coudre.
Bien
qu'étrange et rude, ce pays est beau dans une élégante
originalité. Il s'est aussi fait remarquer par la qualité de sa
gouvernance. M. Hifikepunye Pohamba, qui fait partie des membres
fondateurs de l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain
(SWAPO), la rébellion opposée à l'Afrique du Sud pour
l'indépendance de la Namibie, a été président de son pays de 2005
à 2015. Il a été décoré par la fondation Mo Ibrahim et a reçu
le prix « pour un leadership d’excellence » de 2014. Il
s'est ainsi vu attribuer la somme de 5 millions de dollars sur 10 ans
ainsi que de 200 000 dollars par an à vie. Une récompense rare, car
depuis, la fondation n'a pas trouvé d'autres chefs d’État à la
hauteur. Les années 2015, 2016 et 2017 sont restées sans acquéreur.
Une gouvernance exceptionnelle c'est difficile à trouver il faut le
reconnaître, en Afrique comme dans le reste du monde.